André Manoukian et son sens du rythme


Quelques jours après la sortie de son dernier album, “apatride”, André Manoukian s’est rendu à la Sorbonne, dans le mythique amphithéâtre Richelieu, dans le but de prodiguer un cours sur le rythme. 

C’était l’occasion de réviser ses classiques. l'after beat, ce rythme sur lequel on marque les 2 et 4e temps, a été inventé par les esclaves du Missisipi, lors de la construction du chemin de fer. Ils chantaient en rythme pour synchroniser leur travail. Durant cette conférence, on regarde des extraits de films, on revient aux sources. En quoi certaines musiques contemporaines trouvent leurs origines dans le blues, cette musique qui est le fruit de la rencontre entre les esclaves noirs en fuite et les indiens d’Amérique ? La musique est à l’origine de rencontres, de partages, elle est fondatrice de civilisations. Les indiens dits noirs, justement, issus de cette rencontre entre esclaves et Indiens, ont donné au blues son esprit…

André Manoukian raconte la musique comme un conte, et c’est passionnant. Il compare la musique actuelle au rythme binaire du métronome, régulier, qui, malgré sa rigidité, nous donne l’envie de danser. Ce rythme binaire est, historiquement, celui des chants des esclaves et ceux des militaires… Ce sont les Africains qui y ont introduit un élément ternaire, qui donne à la musique son harmonie organique. Dans ce sens, le swing a dérobotisé la musique, avec son découpage ternaire du rythme. Les hommes se libèrent à travers ce rythme ternaire. En plus de son pouvoir créateur, la musique pourrait donc être libératrice… Le swing est presque mystique, chacun peut imaginer sa manière de swinger. 



André se dévoile être très pédagogue et nous rassure : “Vous avez tous une signature rythmique”. C’est un moyen de marquer son territoire, en quelque sorte. Il cite Gilles Deleuze qui expliquait que les animaux marquaient leurs territoires via la danse, la peinture et la musique. La voix est l’expression d’une intimité, André compare le chant a un strip tease musical, dans lequel ce n’est pas le corps, mais bien l’âme qui est dévoilée. André, enfant du jazz, fait l’apologie d’Internet. 

Aujourd’hui, chacun peut remonter dans le passé, choisir son esthétique. Il nous présente une performance de danse, sur la musique des Indes Galantes de Rameaux, qui semble synthétiser son discours en une chorégraphie fascinante. Il s’agit du crump, cette danse apparue dans les années 90, qui se structure en cercle. Le rythme est binaire, la cadence est explosée. On retrouve une expression spontanée de la danse, ainsi qu’une certaine libération au sein d’un cadre musical binaire et strict. La musique se fait maintenant révolte. Cette danse s’inscrit dans la tradition des battles de danses, à travers lesquelles on marque son territoire. 


Pour André Manoukian, la musique, c’est l’essence de la vie. La musique nous rapproche, nous libère et nous constitue.

(Article préalablement publié sur le site de La Sorbonne)

You May Also Like

0 commentaires